dimanche 2 novembre 2014

Ce qui transgresse, chronique pour Hétéroclite

Bruce LaBruce, la dixième édition de Face à Face à Saint-Etienne… J'ai beaucoup écrit dans le nouveau numéro d'Hétéroclite (http://www.heteroclite.org/), en plus bien sûr de ma chronique culturelle mensuelle, Feux croisés. En voici donc la livraison de novembre, Ce qui transgresse, où il est question d'Alain Guiraudie et de Gregg Araki…



Il n’y a que deux choix dans la vie : se conformer ou transgresser. Être celui que les autres voudraient qu’on soit ou être soi à ses risques et périls. Le désir, la sexualité, le sexe, la baise nous poussent ici ou là, révélateurs intimes tant de nos gouffres que de nos aspirations. Parce qu’il a trop voulu se nier, le père de l’héroïne du beau et très hiératique dernier film de l’ex-trublion Araki, White Bird, va se noyer. On n’en aurait rien su, cela serait resté caché, masqué, sans l’appel du cul, la pulsion des corps, l’image fugace d’un corps-à-corps inattendu qui fait tout basculer.White Bird est ainsi un grand film de l’interdit, du refoulé, de l’oppression acceptée et de l’impossibilité d’en sortir, sauf à exploser en vol. Tout le contraire de ce que raconte Alain Guiraudie dans son premier et réjouissant roman, récit de la frénésie sexuelle et du passage à l’acte assumé de tous les fantasmes, même les plus dérangeants (gérontophilie, fétichisme et scatologie notamment). 
Alors que chez Araki il faut attendre les derniers plans pour que tout se révèle, tout est déjà affirmé dès les premières pages d’Ici commence la nuit, lorsque Gilles, le narrateur, chipe un slip kangourou à un nonagénaire, l’enfile et se met à bander aussi sec… Et ce n’est que le début de ce texte décoiffant, où les barrages des normes (sociales ou sexuelles) n’existent pas, où les mots font exulter les corps en toute trivialité. C’est bon, il faut le dire, cette impudeur jetée à la face du lecteur dans une langue familière et inventive. On y retrouve nombre de motifs de l’œuvre cinématographique de Guiraudie, même si le livre, très direct, est très différent des films qu’il évoque :L’Inconnu du lac ici, Le Roi de l’évasion là, Ce vieux rêve qui bouge ailleurs… Chez Araki, l’auto-répression et la violence qu’elle engendre empêchent toute possibilité de bonheur. Chez Guiraudie, en dépit de la violence, de la douleur, de la mort qui rôde, cette acceptation totale de soi conduit le roman à s’achever (ou quasi) avec les mots «bonheur» et «heureux»…

White Bird de Gregg Araki.
Ici commence la nuit d’Alain Guiraudie, éd. P.OL.

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