mardi 4 août 2015

A vif !, chronique pour Hétéroclite (mai 2015)

Deux romans qui s'efforcent de débroussailler la mémoire de leur héros, et le secret gay qui y est enfoui. L'un est une réussite, l'autre beaucoup moins. Pourquoi ? C'est ce que j'essaie de démêler dans cette livraison de ma chronique culturelle d'Hétéroclite, Feux croisés.

Au début, ce n'est pas douloureux. A peine plus qu'une légère démangeaison. On s'en rend à peine compte. On effleure d'un ongle distrait et puis cela passe, on l'oublie presque. Mais il suffit de gratter, doucement d'abord, puis plus intensément, plus régulièrement, et voilà que ça obsède, que ça occupe tout l'espace de nos pensées. On ne peut s'empêcher de gratter encore et encore, jusqu'au sang, jusqu'à s'en arracher la peau. C'est devenu vital de se débarrasser de cette rougeur, qu'importe ce que l'on trouvera dessous, et tant pis si cela doit faire plus mal de mettre à vif. Au début, pour le jeune héros de Une autre époque, ce n'est pas douloureux cette absence de son père. Il ne l'a jamais connu, juste une photo dans sa chambre, ne s'est jamais intéressé à sa vie ni à sa mort, quelques semaines à peine après sa naissance. En regardant un beau jour cette photo unique, il remarque un détail, une montre qui aurait pu être son héritage et qu'il n'a jamais eue… Il a 17 ans, et il commence à gratter, gratter, gratter jusqu'à mettre à nu à non les non-dits, les secrets, les amours cachées, les désirs interdits, la honte venue de ces lointaines années 50, la passion tragique… Il y a quelque chose de Modiano dans la manière dont Alain-Claude Sulzer remonte le temps, marche sur les traces du passé à la suite de son jeune héros, se heurte aux fantômes, aux adresses perdues, aux silhouettes surgies du néant, aux vies qu'il n'avait jamais imaginées. Un Modiano hanté par la question de l'homosexualité, comme dans ce Garçon parfait grâce auquel on avait découvert l'écrivain suisse et son écriture diaphane, tout en délicatesse et effleurements des sentiments, presque rien, c'est-à-dire l'essentiel. 
Tout le contraire du clinquant à l'œuvre ailleurs, dans ces livres "révélation" à la Richie, l'enquête de Raphaëlle Bacqué sur l'ex-directeur de Sciences Po, Richard Descoings, et ses sulfureux désirs. Elle gratte elle aussi, comme par habitude, elle dévoile elle aussi, des secrets d'alcôves, des anecdotes scandaleuses, un couple puissant (Descoings et le patron de la SNCF), pourquoi pas un lobby gay… C'est écrit comme un long article, à coup de formules et d'images choc. C'est un peu triste, un peu vain. Il n'y a pas grand chose à y lire une fois que l'on connaît les faits…

Alain Claude Sulzer, Une autre époque, éd. Actes Sud/Babel
Raphaëlle Bacqué, Richie, éd. Grasset.

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