Je rends hommage dans Feux croisés, ma chronique culturelle pour Hétéroclite, à l'écrivain Eric Jourdan, mort dans l'indifférence quasi générale des médias.
Il faut parfois la mort pour
que des noms resurgissent de l'oubli. C'est triste et c'est terrible, mais la
force des artistes et des écrivains, pour peu qu'ils aient du talent, est de se
survivre en dépit des aléas des temps et des modes. Début février, Eric Jourdan
est mort, et il y a fort à parier que cela ne dit pas grand-chose à grand
monde. Peut-être est-ce lié à cette discrétion qu'il choisit toute sa vie.
Peut-être est-ce lié à une œuvre souvent réduite à un roman d'adolescence dont
l'incandescence pédée lui valut, en 1955, d'être censuré pour trois décennies.
Peut-être est-ce lié à l'ombre portée de son père adoptif, l'un des grands
auteurs classiques du siècle dernier, à l'homosexualité tourmentée par sa foi,
Julien Green. On ne lit plus guère d'ailleurs, et on a bien tort, ni l'un ni
l'autre. Il y a quelque chose d'impressionnant, de marmoréen, d'intimidant dans
sa rigueur dont on comprend qu'elle retienne de se plonger dans Green, en dépit
de la beauté de langue et de la lutte intime qui s'y joue entre le corps et
l'aspiration au divin.
Mais Jourdan c'est tout autre chose, une écriture
solaire, violente, crue, lyrique, des sentiments exacerbés, des désirs qui
s'incarnent ô combien. Il suffit pour s'en convaincre d'ouvrir Les Mauvais Anges, ce roman-scandale que
Jourdan rédigea à l'âge de 16 ans et qui relate la passion sensuelle et
charnelle de deux cousins un bel été en touraine. Peu à peu, l'exaltation de la
passion fait place à une tragédie inéluctable, celle, sublime, d'une jeunesse
sans concession. C'est beau, cruel, troublant, d'une liberté qui donne le
frisson, à la fois très classique dans le style et profondément transgressif :
ce sera toujours la marque d'Eric Jourdan. Longtemps introuvable, son œuvre est
dispersée chez divers éditeurs, parfois en poche. C'est le cas de ses Anges si sexués bien sûr, mais aussi de
ces textes puissants, hantés par le désir, l'histoire, le destin et la beauté
des jeunes hommes que sont Saccage, Le Garçon de joie, Le Songe d'Alcibiade ou Lieutenant
Darnancourt. Il faut lire Jourdan, parce que la mort n'est pas une fin.
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