mardi 4 août 2015

Mourir, la belle affaire…, chronique pour Hétéroclite (avr. 2015)


Je rends hommage dans Feux croisés, ma chronique culturelle pour Hétéroclite, à l'écrivain Eric Jourdan, mort dans l'indifférence quasi générale des médias.

Il faut parfois la mort pour que des noms resurgissent de l'oubli. C'est triste et c'est terrible, mais la force des artistes et des écrivains, pour peu qu'ils aient du talent, est de se survivre en dépit des aléas des temps et des modes. Début février, Eric Jourdan est mort, et il y a fort à parier que cela ne dit pas grand-chose à grand monde. Peut-être est-ce lié à cette discrétion qu'il choisit toute sa vie. Peut-être est-ce lié à une œuvre souvent réduite à un roman d'adolescence dont l'incandescence pédée lui valut, en 1955, d'être censuré pour trois décennies. Peut-être est-ce lié à l'ombre portée de son père adoptif, l'un des grands auteurs classiques du siècle dernier, à l'homosexualité tourmentée par sa foi, Julien Green. On ne lit plus guère d'ailleurs, et on a bien tort, ni l'un ni l'autre. Il y a quelque chose d'impressionnant, de marmoréen, d'intimidant dans sa rigueur dont on comprend qu'elle retienne de se plonger dans Green, en dépit de la beauté de langue et de la lutte intime qui s'y joue entre le corps et l'aspiration au divin. 
Mais Jourdan c'est tout autre chose, une écriture solaire, violente, crue, lyrique, des sentiments exacerbés, des désirs qui s'incarnent ô combien. Il suffit pour s'en convaincre d'ouvrir Les Mauvais Anges, ce roman-scandale que Jourdan rédigea à l'âge de 16 ans et qui relate la passion sensuelle et charnelle de deux cousins un bel été en touraine. Peu à peu, l'exaltation de la passion fait place à une tragédie inéluctable, celle, sublime, d'une jeunesse sans concession. C'est beau, cruel, troublant, d'une liberté qui donne le frisson, à la fois très classique dans le style et profondément transgressif : ce sera toujours la marque d'Eric Jourdan. Longtemps introuvable, son œuvre est dispersée chez divers éditeurs, parfois en poche. C'est le cas de ses Anges si sexués bien sûr, mais aussi de ces textes puissants, hantés par le désir, l'histoire, le destin et la beauté des jeunes hommes que sont Saccage, Le Garçon de joie, Le Songe d'Alcibiade ou Lieutenant Darnancourt. Il faut lire Jourdan, parce que la mort n'est pas une fin.

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