mardi 4 août 2015

Exercice d'admiration, chronique pour Hétéroclite (mars 2015)

A priori, difficile de trouver plus dissemblables que le trublion Bruce LaBruce et l'académicien Dominique Fernandez. J'essaie pourtant dans la nouvelle livraison de Feux croisés, ma chronique culturelle d'Hétéroclite, de les faire dialoguer…

C'est comme dans Gerontophilia, le dernier film de Bruce LaBruce : on adore la beauté lumineuse et l'intelligence instinctive de son jeune héros, et on s'incline devant le parcours, la personnalité, la richesse du vieillard dont, à la surprise générale, l'éphèbe s'éprend. L'admiration est ainsi, elle ne fait pas de différence, elle s'offre à des êtres, des objets, des œuvres dont la diversité, les différences voire les divergences se complètent et se conjuguent. En ces temps de cynisme généralisé, en cette période où la médiocrité est tant valorisée, il faudrait se répéter en boucle cette phrase nichée dans l'introduction des Amants d'Apollon, le dernier essai de Dominique Fernandez : "On ne peut se construire sans admirer." Et tant qu'à faire, l'académicien de 85 ans nous invite ici à admirer d'abord des chefs-d'œuvres et des génies, en revisitant sur un mode gay la culture classique, de Ganymède à Gide, et ses modèles. C'est comme toujours chez lui lumineux et érudit, profondément engagé, daté parfois (on ne renie ni son âge ni sa génération), contestable heureusement. Mais cela a cette vertu essentielle de nous ancrer dans une histoire, et donc de nous aider à nous comprendre et à comprendre notre rapport historique à la société dans laquelle on vit, cette société complexe qui accepte le mariage pour tous mais où prospère en parallèle l'homophobie, et où des gays, dans toute la bonne foi de leur ignorance crasse, pensent que c'est du côté de l'extrême droite qu'ils peuvent s'épanouir. 
Admirer les classiques. Admirer les modernes, ceux qui réinventent le rapport de l'homosexualité au monde : Bruce LaBruce et son goût de la transgression même dans la romance, Céline Sciamma et son énergie qui se joue des genres, Xavier Dolan et l'évidence décomplexée avec laquelle il pose ses personnages dans leurs identités singulières, ou même l'inconnu Hong Khaou, dans la tendresse jamais mièvre qu'il met à dessiner les relations entre un veuf gay et la mère de son amant. L'admiration est une façon d'être au monde qui n'empêche pas la colère ou la lucidité, c'est un exercice exigeant qui nous construit en nous reliant aux autres, ceux d'hier et d'aujourd'hui. Il faut admirer.

Dominique Fernandez, Amants d'Apollon, L'homosexualité dans la culture, éd. Grasset, 25 €.
Gerontophilia, de Bruce LaBruce, DVD Epicentre Films.

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