Il faut regarder derrière les apparences… C'est ce qui ressort de cette livraison de Feux croisés, ma chronique culturelle mensuelle pour Hétéroclite.
Il y a les apparences. Il y a ce qui les ronge. Il y
a ce qui semble immuable. Et il y a ce qui bouleverse tout. Il y a le lisse. Et
ce qui donne du relief. Sarah Waters est peut-être celle qui sait le mieux tout
cela, celle qui en joue, celle qui s'en joue, celle qui met en joue les
conventions en donnant l'impression de les respecter. En cela, la jeune
romancière britannique est la digne héritière d'un grand cinéaste américain
fasciné par la britannité, James Ivory, comme elle irrésistiblement attiré par
l'époque victorienne, son puritanisme, son corsetage des corps et des mœurs, et
par tout ce qui pousse des hommes, des femmes, à tenter de s'en affranchir pour
respirer, pour vivre, pour aimer. Comme Ivory, Waters use des formes les plus
classiques pour raconter ces libérations qui sont autant de petites
révolutions. Ses romans, Caresser le
velours hier, Derrière la porte
aujourd'hui, comme Maurice, le beau
film qu'Ivory a, il y a près de trente ans, tiré du roman posthume de E.M.
Forster, sont ainsi, de prime abord, d'admirables hommages presque mimétiques à
la littérature, à l'art et aux représentations de cette fin du XIXè siècle/début
du XXè, de cette société rigide et figée où le plaisir et le désir étaient
réfrénés, empêchés, interdits.
Et c'est ici que Waters, comme Ivory,
chamboulent tout, reprenant les codes de cet art de la frustration que fut
l'art victorien pour les pervertir via, justement, ces désirs et ces plaisirs
réprimés, et qui tout d'un coup explosent aux yeux du monde, et tant pis s'il
faut en payer le prix pour vivre sa vie. C'est ce que fait Maurice chez Ivory
en se lançant à corps perdu dans sa passion pour un beau garde-chasse, là où
d'autres protègent leur carrière et leur rang social en se claquemurant dans
des mariages de façade. C'est ce que fait aussi Frances, l'héroïne de ce
passionnant clin-d'œil aux feuilletons populaires d'antan qu'est Derrière la porte, en nouant une passion
bouleversante avec sa jeune locataire, une femme (mal) mariée, et en
l'accompagnant sans faillir dans cette liaison marquée par un crime. Les
apparences, chez ces deux auteurs, sont trompeuses : derrière le classicisme
absolu se cache la modernité…
Sarah Waters, Derrière la porte, éd. Denoël
Coffret DVD James Ivory, MK2 Edition.
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