Peut-être que tout
son destin est lié à un petit mot épais, barbare, un petit mot sans grâce. « Aptonyme ».
Peut-être que tout le drame à venir est lové dans ces quatre syllabes qui, dès
sa naissance, annonçaient la friction à venir entre le réel et la fiction.
Aptonyme. Comme la vie future d’un boulanger semble déjà écrite malgré lui
lorsqu’il s’appelle Pétrin, ou celle d’un directeur de la danse de l’Opéra de
Paris quand il se nomme Benjamin Millepied. Lui, il s’appelle Romand. Romand
comme un roman. Autant dire, à l’instar du Larousse, une " œuvre
d’imagination (…) dont l'intérêt est dans la narration d'aventures, l'étude de mœurs ou de caractères, l'analyse de sentiments ou de passions, la représentation du réel ou de diverses données objectives et subjectives. "
Comment ne pas se poser la question : et si tout découlait de là ?
Sa vie sera cela, une
« œuvre d’imagination », un roman. Un roman longtemps rose en
apparence et qui, d’un coup, sans prévenir, vire au roman noir.
Les romanciers souvent racontent qu’au fil de l’écriture, leurs personnages
leur échappent et vivent leur
propre vie, que c’est eux qui mènent la
danse. La vie romancée de Jean-Claude Romand un jour lui a échappé, la sorte
d’autofiction qu’il avait bâtie lui a glissé des mains et tout s’est fracassé
lorsqu’il a dû la confronter à la réalité. Il n’y avait plus moyen de prolonger
la fiction, alors il a fallu annuler le réel. Cela s’est fait dans le sang. Sa
femme. Ses enfants. Ses parents. Florence Romand, 37 ans. Caroline et
Antoine Romand, 7 et 5 ans. Aimé et Anne-Marie Romand, 75 et 70 ans.
Tués dans cet ordre. Plus de témoins de la béance entre Romand et son roman.
Plus que lui, seul, face à son vide, face à une vérité d’autant plus terrible
qu’elle s’apparente à un désert. Comme l’écrit Emmanuel Carrère dans L’Adversaire, le puissant « roman »
qu’il a consacré à cette affaire : « Un mensonge, normalement, sert à
recouvrir une vérité, quelque chose de honteux peut-être mais de réel. Le sien
ne recouvrait rien. Sous le faux docteur Romand il n’y avait pas de vrai
docteur Romand. »
Toute l’histoire de la
tragédie qui se déroule le 9 janvier 1993 à Prévessin-Moëns et Clairvaux-les-Lacs, dans ces départements que sont l’Ain et le Jura, est résumée
dans ces quelques mots : il n’y a pas de vrai docteur Romand. Jean-Claude
Romand n’est pas médecin, il ne l’a jamais été. Il n’est pas chercheur à
l’Organisation mondiale de la santé. Il ne donne pas de cours. Il n’a pas de
bureau. Il n’a pas de salaire, pas de sécurité sociale, pas d’argent.
Jean-Claude Romand, tel que chacun le connaît depuis toujours, sa famille, ses
amis, est une illusion. Et parce que cette illusion patiemment élaborée durant
dix-huit ans menace de se dévoiler, parce que cette fiction parfaite du mari
parfait, du père parfait, du fils parfait, du scientifique parfait est sur le
point de s’écrouler, il n’a plus qu’une seule solution : la mort. Ç’aurait
pu être la sienne. Ce sera celle des autres…
LA SUITE EST DANS LE LIVRE…
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