Les marges influencent le centre, les artistes en marge sont essentiels à la création… Illustration dans Feux croisés, ma chronique d'Hétéroclite ce mois-ci…
Bien sûr, il y a les super héros et les productions spectaculaires. Et
parfois, souvent, s'y nichent des interrogations sur l'identité qui font un
instant peut-être vaciller les certitudes des spectateurs innombrables. Et
puis, aujourd'hui comme hier, il y a les marges, les œuvres fragiles,
discrètes, singulières, peu vues lorsqu'elles apparaissent mais qui travaillent
à long terme, et qui changent fondamentalement les regards bien au-delà de ceux
des premiers curieux à les avoir découvertes. Les marges sont primordiales.
C'est d'elles que viennent les changements, elles qui nous bousculent, d'elles
que viennent les transformations qui, un jour, toucheront le centre : que ce
soit celui de la société ou celui du cinéma. Kenneth Anger, à 90 ans, est la
preuve vivante que les marges sont indispensables. C'est dans leur cadre qu'il
élabora, en 1947, un chef-d'œuvre poétique et érotique qui marqua la naissance
du cinéma underground et qu'il donna à celui-ci cette coloration gay qui le
marqua à jamais. Le film s'appelait Fireworks,
14 minutes inouïes, impensables en ces temps puritains, et qui fascinent
aujourd'hui encore. L'art inventif, sexy, stupéfiant (parfois ésotétique et
déroutant) d'Anger — célébré à Lyon par le festival Ecrans Mixtes il y a trois
ans — se trouve réuni désormais en un coffret DVD bourré de compléments aussi
passionnants que les films.
Les marges, le Français Joseph Morder connaît lui
aussi. C'est là qu'il a entrepris depuis près de quarante ans une œuvre multiforme,
dominée par un journal filmé au long cours, dont le mix de pudeur et de
franchise a influencé ceux qui ont eu la chance de le voir, Rémi Lange en tête.
Morder ne s'est que rarement essayé au long métrage de pure fiction. C'est ce
qu'il fait avec La Duchesse de Varsovie,
où, devant des décors peints stylisant un Paris intemporel et magnifié, deux
secrets se rencontrent : celui d'un beau jeune homme triste (Andy Gillet), et
celui de sa grand-mère (Alexandra Stewart). Il est gay et ne l'a jamais dit à
sa famille. Elle est rescapée des camps de la mort et n'en a jamais parlé. La
caméra sensible de Morder, habituée aux confidences, enregistre leurs silences,
leurs paroles, leur confiance, leur tendresse comme aucun cinéaste de
blockbuster ne saurait le faire. C'est dans les marges, décidément, que se joue
l'essentiel…
Coffret DVD Kenneth Anger, éd. Potemkine.
La Duchesse de Varsovie, de Joseph Morder, éd. DVD : Epicentre Films.
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